SAINT-QUIRIN – Eglise Saint-Quirin

Photo : Ch. Lutz

Jean-André Silbermann

1746

Classé au titre des Monuments historiques en 1982 (partie instrumentale) et en 1993 (buffet)

Bien que situé en Lorraine, le prieuré bénédictin de Saint-Quirin dépendait de l’abbaye de Marmoutier, en Alsace. C’est  pourquoi la commande du premier orgue attesté dans le lieu fut passée en 1745 par l’abbé de Marmoutier, Placide Schweighaeuser, auprès de Jean-André Silbermann. Le nouvel instrument fut monté en atelier en avril-mai 1746 puis installé dans son église entre le 17 juin et le 19 juillet de la même année.

En 1779, le prieuré fut fermé et l’église devint paroissiale : des documents de l’époque attestent alors que c’était bien l’abbaye de Marmoutier qui avait payé l’instrument et qu’à ce titre elle en réclamait la « restitution » ! Fort heureusement cela ne se fit pas. La suite fut tout aussi favorable : l’orage révolutionnaire puis  le 19ème siècle et ses mutilations romantiques épargnèrent Saint-Quirin. Le manque de finances notamment a empêché les « améliorations » musicales.

Le 20ème siècle, hélas,  ne fut pas aussi clément : dès 1904 Franz Staudt accorda l’orgue au ton moderne, par l’ajout d’entailles de timbre, et remplaça les mixtures par une Gambe 8 et une Voix céleste 8. Puis en 1917 les tuyaux de façade furent réquisitionnés, malgré leur origine silbermanienne. Mais la transformation la plus iconoclaste intervint en 1942, effectuée par Frédéric Hærpfer, à l’initiative du gauleiter de Metz et payée par des fonds de l’administration nazie. Elle se voulait respectueuse de l’orgue Silbermann, puisque la Fourniture et la Cymbale furent rétablies. Elle traduisait peut-être aussi du remords à la suite des réquisitions de la Grande Guerre. Mais les deux jeux de pédale furent supprimés au profit d’une nouvelle pédale de trente notes et trois jeux (Soubasse 16, Choralbasse 4, Trompette 8), avec traction pneumatique tubulaire et sommier à pistons. L’écho fut complété à quarante-neuf notes par l’ajout d’un sommier à gravures, actionné mécaniquement, et de tuyaux en zinc ou en spotted. Une tirasse fut ajoutée, ainsi qu’un trémolo pneumatique.

Révélé en 1965 par le disque d’improvisations de Michel Chapuis, dans la célèbre collection des “Orgues historiques” d’Harmonia Mundi, l’instrument fut restauré en 1969 par Alfred Kern, qui rétablit l’état d’origine, à la réserve de l’étendue du pédalier, fixée à vingt-cinq notes au lieu des treize notes primitives. Ce fut la première restauration d’un orgue historique en Lorraine. Par ailleurs, l’orgue de Saint-Quirin est le seul ouvrage de Silbermann conservé en Lorraine.

Traduction d’une chronique de Silbermann sur Saint Quirin:

(Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, ms.1541, p.68; original en allemand)

Le marché a été conclu à Strasbourg avec M. le Prélat de Marmoutier en 1745.

En faisant le voyage de Sarrebourg, j’y ai aussi chevauché le 25 octobre , lundi le 25 octobre.

Le mardi 26, je suis allé avec le prieur à Marmoutier en passant par la montagne, près de Dabo.

Année 1746. Mercredi le 15 juin, nous sommes partis avec l’orgue, mon frêre Heinrich et moi, nous avons passé la nuit à Marmoutier, et le lendemain nous y sommes arrivés vers 4 heures. Vendredi le 17, nous avons commencé à travailler. Mercredi le 6 juillet, après une forte chaleur, a éclaté le plus terrible orage que j’ai jamais vu. Samedi le 16 juillet, nous avons terminé l’orgue. Mardi, le 19, nous sommes repartis et allés jusqu’à Marmoutier.

Année 1752. Le vendredi 20 octobre, nous y sommes allés en voiture. Samedi le 21 dans l’après-midi, j’ai commencé avec mon frêre Heinrich à relever et dépoussiérer l’orgue. Comme nous devions nous rendre le mardi avec M. le prieur de Marmoutier, nous avons aussi travaillé le dimanche après-midi. Moi 2 jours. Heinrich 2 jours. Je ne voulais rien demander, parce que c’était la première fois et que j’avais promis d’accorder l’orgue 1 an après son achèvement. M. le prieur m’a donné 12 florins.

Année 1765. Le 23 juillet, mon frêre Heinrich s’y est rendu sur leur demande avec mon fils Daniel. Hainssler a cependant vraiment accordé l’orgue, en prétendant que je l’avais envoyé ! Voir lettre du père administrateur.

Hainssler. Il vint auparavant à Marmoutier. Quand le père Grégorius le vit, et apprit qu’il voulait aller à Saint-Quirin, il envoya par exprès une lettre à Lettenbach au père Augustin, administrateur. Il ne devait surtout pas laisser faire quoi que ce soit à Hainssler. Le messager arriva vers minuit et transmis la lettre. Mais Hainssler était déjà arrivé la veille au soir, apportant à M. l’administrateur les salutations du père Grégorius et lui disant que M. Silbermann l’avait envoyé accorder l’orgue de Saint-Quirin. M. l’administrateur lui montra le pianoforte fait par mon frêre et lui demanda s’il savait aussi s’en occuper. Bien entendu, fut la réponse. J’en ai déjà fait quelques-uns moi-même. Sur quoi M. l’administrateur lui offrit de le réparer. Il en sortit donc aussitôt le clavier. Le lendemain matin, après avoir reçu la lettre dans la nuit,, M. l’administrateur dit à Hainssler: Il avait appris que M. Silbermann était lui-même en route, et le congédia. A la suite de quoi, il se rendit à Saint-Quirin et se proposa de réparer l’orgue. Et bien que M. l’administrateur ait fait dire au père Edmond, curé du lieu, de ne pas entrer en relation avec Hainssler, il le laissa néanmoins aller à l’orgue. Il en profita pour se faire nourrir un certain temps, et ils durent lui payer 6 louis d’or.

Traduction du journal de Silbermann sur la construction de l’orgue:

(archives Silbermann, cahier n° V, pp. 291-298) 

Installation, harmonisation et accord de l’orgue du prieuré de Saint-Quirin, année 1746.

N.B. Il est à remarquer qu’à Saint-Quirin il n’y a presque pas eu de dérangement. Les religieux dirent leur messe à la chapelle située dans la montagne, et de ce fait je pus travailler presque toute la journée sans être dérangé. J’emmenais mon frère Heinrich avec moi et j’avais un garçon pour tirer les soufflets, je ne commencais pas à travailler plus tard que vers 5h du matin et continuais jusqu’au soir vers 8h. Par contre, nous mangions plus longtemps qu’une heure à midi

1746. Installation de la mécanique de l’orgue pour St-Quirin. A la maison j’étais seul, puisque j’avais fait faire le travail de menuiserie par les compagnons.

[jeudi] le 21 avril. Le matin, monté la partie supérieure du buffet, et aussi tracé les sabres dans leurs guides, coupé, percé, et garni les trous à l’extrémité des registres, pour qu’ils soient prêts à coulisser.

[vendredi] le 22. Coupé à leur place les croissants des tuyaux de façade et tracé avec le compas fort, aussi marqué les trous sur les pièces gravées et percé celles-ci, également fait les 15 tampons du Bourdon et tracé à leur emplacement.

[samedi] le 23. Soudé tous les postages, aussi fait les coudes aux 25 postages du Cornet, et arrangé les trois planchettes pour les faux-sommiers.

[lundi] le 25. Le matin, tracé les faux-sommiers, préparé les postages et de nouveau tout démonté pour monter la partie inférieure du buffet. Rien l’après-midi.

[mardi] le 26. Effectué toutes sortes d’ouvrages secondaires, tant pour la mécanique de registres des claviers que pour celle de la pédale.

[mercredi] le 27. Continué, aussi percé les trous des tirants dans la fenêtre des claviers.

[jeudi] le 28. Continué, à l’écho, à la pédale et au clavier.

[vendredi] le 29. Continué le matin.

[samedi] le 30. Continué. Dérangé un tiers de la journée.

[lundi] le 2 mai. Encore un tiers de la journée à y travailler, mais il a fallut à nouveau tout démonter, il faut compter une journée.

Comme je le précise ci-dessus, j’ai donc passé dans mon atelier 8 jours 1/2.

Encore pour percer les crapaudines et les bras d’abrégés, et pour râper les petites chevilles, je compte 1 jour 1/2.

A St-Quirin, il y a eu le travail suivant à la mécanique.

Travail à St-Quirin.

[vendredi] le 17 juin. En partie tout monté à la tribune avec l’aide des valets du couvent. Percé et fixé les axes des rouleaux d’abrégé. Collé quelque chose de cassé. Heinrich pendant ce temps a préparé les têtes des clous et les petites chevilles.

[samedi] le 18. Déballé les tuyaux du Bourdon, de la Flutte, du Nazard bouché, du Bourdon du Cornet et du Bourdon de l’écho. Préparé les oreilles, tout peint, soudé les oreilles et encore lavé les tuyaux.

[lundi] le 20. Monté le buffet et cloué toutes les décorations, et arrangé une partie.

[mardi] le 21. Jusqu’à 8 heures garni les plates-faces. Fait l’abrégé, sans le mettre en place. Pendant ce temps, Heinrich a découpé et peint les calottes des tuyaux bouchés, et assemblé les tuyaux ensemble jusqu’à 5h 1/2.

[mercredi] le 22. Cloué l’abrégé et posé les rouleaux, aussi suspendu les vergettes d’en haut au sommier, coupé les autres et collé avec du parchemin. Deux heures à l’installation de la soufflerie. Mise en place des rouleaux de registres. Pendant ce temps, Heinrich a travaillé deux heures aux calottes des tuyaux bouchés. J’ai aussi accroché les sabres, et réglé les registres à mi-course.

[jeudi] le 23. Garni les vergettes de fil de fer, accroché les claviers, entaillé toutes les extrémités de registres des claviers manuels. Frotté les registres au minerai de plomb et posé ceux-ci pour la première fois et cloué. Une heure aux portevents. Fixé les poulies supérieures des soufflets.

[vendredi] le 24. Saint Jean Baptiste. Le matin collé les petites soupapes dans les gosiers, découpé les gosiers dans le portevent principal et collé celles-ci avec leurs tampons et leurs cordes. Coupé le grand portevent en trois morceaux et percé un trou dans le portevent principal. Accroché les poulies et mis les soufflets en place, et collé dans ceux-ci les cadres pour les soupapes d’admission. L’après-midi, terminé de poser les autres portevents, collé les soufflets sur le portevent, et collé à moitié les autres portevents. Fait l’installation dans le portevent pour un tremblant doux ordinaire. Posé et fixé le sommier de pédale sur les pièces de bois déjà préparées. Collé du parchemin en haut des 15 tuyaux du Bourdon.

[samedi] le 25. Coupé des trous dans le portevent pour les trois (sic) tremblants, posé le sommier de l’écho, et installé complètement et garni de peau tous les portevents. L’après-midi, achevé l’installation pour tirer les soufflets et cloué sur eux les bois, posé la registration de la pédale. Aussi garni de peau le pédalier.

[lundi] le 27 juin. Le matin achevé la registration de la pédale et de l’écho, introduit et collé les tenons des registres. Collé les étiquettes et posé tous les tremblants, sans leur mécanique. L’après-midi, chargé les soufflets de briques, en contrôlant avec le pèse-vent, et fixé de petites caisses dessus. A nouveau déposé toutes les chapes du sommier principal, traité les chapes selon la nouvelle méthode en les frottant avec de l’oxyde de plomb, fait les têtes des clous, et cloué à nouveau toutes les chapes. Cloué les pièces gravées de la façade et du Cornet. Préparé du chanvre pour coller les postages.

[mardi] le 28. Le matin, installé les postages du Cornet et encollé tous les postages. L’après-midi, installé et garni de peau les tampons du Bourdon, cloué des crochets à l’arrière, collé des supports aux montants du buffet pour les croissants des tuyaux de façade. A la mécanique de pédale, comme les contre-touches avaient déjà été percées et brûlées à la maison, posé celles-ci sur leurs supports et encore installé deux consoles verticales sous ces derniers, enfoncé les pointes dedans, cloué le pédalier, tracé deux abrégés, percé et enfoncé les crapaudines, et encore fait deux consoles pour maintenir l’abrégé sous le sommier.

[mercredi] le 29. Entièrement fait l’abrégé de pédale, le cloué à sa place, tout accroché, fait la petite traverse des pilotes, et installé la pédale prête à jouer. Coupé les registres de l’écho et raboté, et encollé du parchemin. Posé la paroi arrière du buffet de pédale avec la corniche principale et accroché les portes de la pédale. Fixé les culots avec leurs corniches et leurs ornements. Posé les 6 plus gros tuyaux de la pédale, collé les crochets et le fixer au sommet. Préparé aussi les deux portes principales avec leurs crochets et leurs gonds pour être mises en place.

[jeudi] le 30. Tressé les vergettes de l’écho et accroché l’écho. Installé les panneaux de la ceinture. Fait un plancher dans le buffet de la pédale et lambrissé les bas des soufflets à l’avant. Fait la commande des tremblants forts et doux.L’après-midi, posé le pupitre, cloué les croissants des tuyaux de façade. Sorti et adouci tous les ressorts des sommiers du clavier manuel et de l’écho et égalisé les claviers. Déballé la façade et frotté à la craie. Aussi rangé. Ainsi terminé avec toute la mécanique.

[vendredi] le 1er juillet. Frotté et installé la façade dans les pièces gravées déjà courbées. Toutes les petites cheminées percées dans les couvercles et soudées à tous les tuyaux bouchés. Percé Prestant, Bourdon et Flutte dans les faux-sommiers et revu encore une fois le vent.

[samedi] le 2 juillet. Le Prestant entièrement harmonisé et accordé, ce qui a pris jusqu’à 4 heures. Puis encore de 5 à 7 heures harmonisé les 15 tuyaux en bois du Bourdon, mais de façon pas tout à fait précise.

[lundi] le 4. Percé la Doublette, la Tierce et le Nazard ouvert. Coupé au ton, soudé et hramonisé la Flutte.

[mardi] le 5 juillet. Coupé au ton, soudé et aussi harmonisé le Bourdon et le Nazard, et accordé grossièrement. Percé le Bourdon du Cornet dans le faux-sommier.

[mercredi] le 6. Tracé le faux-sommier de l’écho, entièrement percé le faux-sommier de l’écho, et cloué, également percé le Bourdon et le Prestant de l’écho, puis fermé en bas et démonté tout l’écho. Coupé au ton le Bourdon d’écho et le Bourdon du Cornet, soudé dessus les couvercles, et aussi harmonisé les deux à la bouche, mis en place ceux du Cornet et fermé les autres trous par des bouchons. Coupé aussi la Doublette d’après la planche d’accord, harmonisé à la bouche et posé. Aussi encore allégé les demi-ressorts dans le sommier du clavier manuel.

[jeudi] le 7. Repris de nouveau le Prestant de façon précise, et harmonisé de nouveau le Bourdon, la Flutte, le Nazard et la Doublette, et accordé chacun avec précision au Prestant. Ainsi 5 jeux sont terminés. Harmonisé avec précision et accordé le Bourdon de l’écho et le Bourdon du Cornet. Aussi coupé d’après la planche d’accord le Prestant de l’écho et le Prestant du Cornet et harmonisé à la bouche. Fermé en dessous tous les tuyaux de la Fourniture et de la Cymbale.

[vendredi] le 8. Coupé au ton les 5 do de la Tierce. Coupé la Fourniture et la Cymbale d’après la planche d’accord, harmonisé le tout à la bouche, et rangé celles-ci séparément. Percé dans le faux-sommier la Trompette de la pédale. Percé les trois petits registres de l’écho dans le faux-sommier. Aussi encore percé la Fourniture.

[samedi] le 9. Coupé la Tierce d’après la planche d’accord, harmonisé à la bouche, posé et terminé sur le sommier. Repris avec précision le Bourdon d’écho. Terminé le Prestant de l’écho et e Prestant du Cornet, ainsi que les 3 autres jeux du Cornet, et accordé avec précision chacun séparément d’après le Prestant. Ainsi achevé d’accorder 7 registres avec les plumes, et entre-temps, encore coupé la Fourniture et la Cymbale d’après la planche d’accord, harmonisé à la bouche, fermé en dessous et percé le faux-sommier.

[lundi] le 11. Encore passé 2 heures à accorder à fond le Cornet avec des plumes. Les 3 petits registres supérieurs de l’écho harmonisé à la bouche et aussi terminé. A trois heures et demi, commencé à couper au ton et accordé avec précision au couteau la Fourniture et la Cymbale, terminé tout le côté ut à sept heures et demi. Heinrich a aussi coupé tout le fil de fer pour les rasettes du Cromorne.

[mardi] le 12. Fini de couperfortement la Fourniture et la Cymbale avec le couteau et accordé. Ajusté le Cormorne dans les pieds, de même que la Trompette de pédale, mis des coins aux noyaux et des rasettes, et enfoncé les pieds. Aussi terminé le tremblant fort.

[mercredi] le 13. Tout l’orgue encore une fois accordé entièrement et à fond. Percé le Cromorne dans le faux-sommier, encore raboté quelques anches, et essayé quelques-uns des plus grands.

[jeudi] le 14. Pratiquement terminé le Cormorne, à l’exception de la finition.

[vendredi] le 15. Encore passé quelques heures à revoir le Cromorne. Et harmonisé et accordé l’Octavebasse.

[samedi] le 16. Le matin, posé la Trompette de pédale et harmonisé celle-ci.

Ainsi terminé, Dieu soit loué.

13 jours passés à harmoniser, accorder et aussi percé les faux-sommiers.

Tirants en buis tourné, bougeoir forgé, étiquettes en parchemin : le charme d’un instrument préservé !

 

Photo : J.M.Schreiber

Une rareté dans la production Silbermann : des claviers d’origine !

 

Photo : J.M.Schreiber

Ange musicien au sommet de la jouée gauche (vue de l’église)

 

Photo : J.M.Schreiber