MOLSHEIM – Eglise Saint-Georges

photo : J.Ph. Grille

Jean-André Silbermann

1781

Classé au titre des Monuments historiques en 1977 (buffet) et 2002 (partie instrumentale)

(L’essentiel de la documentation présentée dans cet article provient de la remarquable plaquette réalisée à l’occasion du relevage de 2017-2018 par les Amis de l’orgue Silbermann de Molsheim présidée par Marie-France Heckmann. Les Itinéraires les en remercient vivement).

 

La musique a toujours joué un grand rôle dans l’activité missionnaire des Jésuites, ne serait-ce que pour répondre à la place privilégiée qu’elle occupait dans les églises de la Réforme protestante. Aussi n’est-il pas étonnant que dès l’achèvement en 1618 de leur église de Molsheim, un orgue y prit place, cité en 1619 comme un cadeau de la com­tesse Johanna von Hanau dans la monographie du Jésuite Jodocus Coccius. On ne sait rien de cet instrument, sinon qu’il était déjà placé en fond de nef et qu’il comportait une octave courte, dépourvue des quatre premiers dièses et bémols sur le clavier. Il n’en reste que l’enclos en sapin de la soufflerie, dans l’angle arrière droit de la tribune, doté d’une décoration Renaissance. Les deux grandes sculptures latérales de l’instrument actuel, comportant des trophées d’instruments de musique, proviennent également du premier orgue, mais il est probable qu’ils n’ont été posés qu’à une période intermédiaire, peut-être pour remplacer des volets peints, très fréquents à l’époque médiévale et à la Renaissance.

Actuellement vide, la chambre des soufflets, située dans l’angle Nord-ouest de la tribune, est tout ce qui subsiste de l’orgue de 1619, avec ses ornements Renaissance. Le rectangle découpé dans la paroi de sapin était destiné au passage du portevent alimentant l’instrument en air.

 

Photo : J.Ph. Grille

Parmi les organistes illustres qui furent amenés à toucher cet instrument, on peut ci­ter Georges Muffat, un compositeur originaire de Megève, qui fut élève au collège de Molsheim et organiste en 1671-1674 du Grand Chœur, ce chapitre des chanoines de la cathédrale de Strasbourg alors replié dans l’église paroissiale de Molsheim, avant de passer l’essentiel de sa carrière à Salzbourg puis à Passau.

Après l’expulsion des Jésuites en 1765, le collège devint épiscopal, sous l’autorité du diocèse de Strasbourg. C’est dans ce cadre que fut commandé l’orgue de Jean-André Silbermann. Le facteur d’orgues strasbourgeois fut appelé à la fin de l’année 1775, pour remplacer les soufflets qui se vidaient trop vite. Celui-ci démontra que si les soufflets se vidaient si vite, c’était surtout en raison des nombreuses fuites dans les sommiers et qu’il ne servait à rien de prévoir des soufflets neufs. Silbermann parvint à convaincre le directeur du collège qu’il était nécessaire de construire un nouvel orgue, et prit dès cette occasion les mesures de l’emplacement disponible pour l’instrument. Mais celui-ci ne fut effectivement commandé que plus tard, probablement en 1780, selon un marché qui n’a pas été retrouvé. L’ancien orgue fut joué pour la dernière fois le 30 avril 1781 et aussitôt démonté pour laisser place au nouvel instrument, qui fut monté en mai et juin 1781. On l’entendit pour la première fois le 10 juin 1781 pour la fête de la Trinité et il fut véritablement inauguré le dimanche suivant, le 17 juin 1781, par Jacques-Frédéric Neumeyer, organiste du chapitre St-Pierre-le-Jeune à Strasbourg et originaire de Molsheim. Ce fut l’avant-dernier ouvrage posé en Alsace par Jean-André Silbermann, juste avant celui de Gries livré à l’automne de la même année. Le dernier orgue issu de ses ateliers fut posé sur la rive droite du Rhin, à Lahr, et achevé après sa mort par son fils Josias. La composition d’origine n’est pas connue avec certitude, du moins pour ce qui est de l’écho, mais peut être déduite des notes prises en 1887 par Franz Kriess :

Bien que l’église était alors la deuxième en taille du diocèse de Strasbourg après la cathédrale, l’instrument était donc de taille assez modeste. Sous l’Ancien Régime, l’importance d’un orgue ne dépendait pas de la grandeur de l’édifice qui l’accueillait, mais du rang qu’occupait son commanditaire dans la société. C’est ce qui explique que cet orgue destiné à un collège et non à une paroisse de ville ou à un monastère soit plus petit que celui livré deux ans plus tôt à Bouxwiller, dans l’église principale de la capitale alsacienne du Landgrave de Hesse-Darmstadt, de dimensions pourtant beaucoup plus modestes.

La composition des jeux d’un orgue Silbermann dépendait aussi beaucoup de l’usage qui en était fait. Dans les églises protestantes, l’orgue était prioritairement destiné à l’accompagnement du chant des fidèles, ce qui supposait une sonorité assez puissante. Dans les abbayes et couvents, il était davantage conçu pour jouer des versets courts en alternance avec le plain-chant, ce qui demandait une plus grande variété de timbres. La composition de l’orgue de Molsheim est unique dans l’œuvre de J.A. Silbermann, avec un grand-orgue assez puissant pour remplir cette vaste nef et un écho qui n’est nullement un positif intérieur mais un dessus d’écho placé dans le soubasse­ment et complété dans la basse par des jeux situés en hauteur derrière le buffet.

Il y a ici un clavier principal assez fourni, avec non un Nazard 2 2/3 flûté mais une Quinte 2 2/3 principalisante, ordinairement réservé aux églises protestantes. Cette particularité peut s’expliquer par l’utilisation de l’orgue pour accompagner le chant d’assemblée. Les Jésuites semblent avoir introduit dès le XVIIème siècle le chant des fidèles dans leurs célébrations, en réponse au succès du choral protestant : les recueils de cantiques qui furent édités à Molsheim en 1659, 1665 et 1682 comportent tous « une basse chiffrée pour l’orgue », ce qui suggère que ces mélodies étaient accompagnées par l’orgue. Cette tradition semble avoir perduré au siècle suivant : dans une lettre adressée à Lahr le 28 mai 1781, Jean-André Silbermann indique que le nouvel orgue de Molsheim sera joué le dimanche 10 juin pour la fête de la Sainte-Trinité – à laquelle l’église était consacrée -et qu’il devra « pouvoir être utilisé pour le chant puissant des habitants du lieu et des environs ».

Quant au second clavier, c’est ici le seul exemple d’un écho complet dans un orgue Silbermann de deux claviers, les autres exemples (Villingen en 1758-1759, Arlesheim en 1761 et St-Jean de Strasbourg en 1763) étant placés dans des instruments plus im­portants, à trois claviers. C’est aussi le seul exemple d’une telle disposition qui soit conservé en Alsace, celui de St-Jean de Strasbourg ayant disparu. En fait d’un écho complet, il s’agit plutôt de la juxtaposition d’un Cornet d’écho disposé en rangs séparés, comme dans beaucoup d’orgues Silbermann, et de deux octaves graves essentiellement conçues pour l’accompagnement de ce que l’on appelait alors la « musique » ; il s’agissait de la musique concertante, vocale et instrumentale, qui était donnée durant les offices, que ce soient des messes ou des motets. Là aussi, on sait que ce répertoire concertant occupait une grande place chez les Jésuites et que cet usage s’est assurément perpé­tué lorsque le collège est devenu épiscopal. Le jeu de Basson ou Fagotbass était tout spécialement destiné à la basse continue : en 1756, Silbermann avait offert un tel jeu à la paroisse du Temple-Neuf à Strasbourg, ce qui avait eu pour conséquence que le bassoniste de l’orchestre avait été congédié, puisque ce jeu pouvait le remplacer dans la musique concertante.

À partir de mars 1791, l’église fut affectée au service de la paroisse. L’orgue survécut aux tourments de la Révolution et fut réparé en 1816 par Michel Stiehr, pour 300 francs, payés par la commune. Des réparations par l’organiste paroissial Eisenmenger sont signalées en 1838 et 1854, respectivement pour 50 et 60 francs.

Mais le destin de l’orgue fut scellé en 1886, lorsque le facteur d’origine allemande Franz Kriess s’installa à Molsheim et y ouvrit une manufacture d’orgues. Dès 1887, Kriess fut chargé de l’entretien de l’instrument et effectua une première réparation. Puis une im­portante transformation fut réalisée en 1893. Kriess revint en 1910 pour de nouvelles transformations, avec une pneumatisation partielle de l’instrument. Bien qu’étant de Silbermann, les tuyaux de façade furent réquisitionnés en 1917 par l’administration allemande, leur valeur historique n’ayant pas été signalée. Ils furent remplacés par des tuyaux en zinc durant les années 1920. Une ultime modernisation fut encore entreprise en 1941 par la maison Kriess.

Cette vue d’archives montre l’état de l’orgue avant la restauration de 1970, avec ses tuyaux de façade en zinc, une statue rapportée remplaçant le couronnement de la tourelle centrale, des claviers blancs et les compléments pneumatiques de Kriess à l’arrière.

 

Photo : E.Bucher, Molsheim

Malgré les mutilations subies, l’orgue de Molsheim conservait tout de même une part importante de sa tuyauterie ancienne et ses sommiers de grand-orgue et de pédale. Il fut décidé de le restaurer en rétablissant l’état d’origine et cette réhabilitation fut effectuée d’octobre 1969 à septembre 1970 par Alfred Kern, sous la maitrise d’ouvrage de Marc Schaefer. Après avoir été associé à la restauration de l’orgue Silbermann de Marmoutier en 1955, le facteur strasbourgeois était devenu peu à peu le spécialiste incontesté des Silbermann. Cette intervention fait partie d’une série de restaurations ou reconstructions remarquables : Griesheim-sur-Souffel en 1966, Gries en 1967, Bouxwiller en 1968, Saint-Quirin en 1969, Molsheim en 1970, St-Jean de Mulhouse en 1972, Châtenois en 1973 et St-Thomas de Strasbourg en 1979. Grâce à la présence des sommiers anciens la composition d’origine put être rétablie au grand-orgue et à la pédale .

À l’écho, les sommiers avaient disparu et l’on restitua une composition inspirée de l’écho d’Arlesheim, orgue Silbermann de 1761 restauré par Metzler en 1962 où les sommiers d’origine sont préservés mais où la composition de l’écho n’est pas non plus connue avec certitude. On tenta également de retrouver le tempérament ancien, à partir de la méthode d’accord décrite par Ignaz Bruder et attribuée à Jean-André Silbermann. Sur la tourelle centrale prirent place les armes de la Ville de Molsheim, représentant le martyre de saint Georges sur la roue. Elles ne figuraient évidemment pas en 1781 puisque ce n’est pas la Ville qui paya l’orgue du collège épiscopal, mais le blason a été réalisé de manière très convaincante par l’ébéniste Valentin Jaeg, de Strasbourg-Neudorf, en extrapolation de celui de Saint-Jean de Mulhouse. L’orgue restauré fut inauguré le 9 mai 1971.

Ce n’est que bien après sa restauration que l’orgue fut classé au titre des Monuments historiques, le buffet par arrêté du 15 novembre 1977 et la partie instrumentale par arrêté du 8 novembre 2002.

Près de cinquante ans après la dernière restauration, l’orgue présentait des signes de faiblesse. La tuyauterie était empoussiérée et l’accord général était devenu déficient. Les éléments en sapin du buffet étaient à nouveau partiellement infestés par les vers à bois. Avec l’aide des Monuments historiques, la municipalité de Molsheim décida d’engager un relevage de l’instrument, qui fut réalisé d’octobre 2017 à février 2018 par Quentin Blumenrœder et ses compagnons, pour un montant de 64.562 € HT.

La seule modification porta sur l’ajout de deux notes à la pédale, dont l’étendue passa de 25 à 27 notes, et d’une tirasse entre le grand-orgue et la pédale. Pour cela, un petit sommier complémentaire fut posé entre les deux sommiers anciens de pédale, avec six tuyaux neufs en copie de Silbermann. Ces modifications sont totalement réversibles, elles n’ont en rien altéré le matériel de Silbermann et permettent d’élargir le répertoire praticable, notamment en direction des œuvres de J.S. Bach. Pour le reste, l’état de 1970 fut conservé, non sans pratiquer quelques interventions ponctuelles sur l’harmonie, pour obtenir plus d’égalité et corriger les quelques tuyaux qui avec le temps étaient de­venus piquants et acides. Bien que resté à la marge et non systématisé, ce travail d’har­monie a permis de retrouver plus de cohésion entre les jeux, en facilitant grandement leur mélange, et de redonner ainsi plus d’ampleur à l’instrument.

Lors de la restauration de 1970, l’orgue avait été accordé selon un tempérament inégal. Ce n’était pas tout à fait une première, puisque l’orgue Silbermann de Soultz, dans le Haut-Rhin, avait déjà été accordé de manière inégale par Curt Schwenkedel et Philippe Hartmann. Mais ici le tempérament choisi avait plus de fondement historique, puisqu’il était basé sur la description faite par Ignaz Bruder (1780-1845), un facteur d’orgues de Forêt noire, qui avait décrit dans un manuscrit un tempérament attribué à Jean André Silbermann. Cette formule est sujette à interprétations et il n’a pas été possible de retrouver celle qui avait été faite par Alfred Kern en son temps. Dans le doute, il a été décidé d’accorder l’instrument selon le tempérament retrouvé en 2012 par Quentin Blumenrœder dans l’orgue Silbermann du musée des arts décoratifs de Strasbourg, déposé dans l’église Sainte-Madeleine de la même ville. Ce tempérament, posé en 1730 lors de l’installation de cet instrument dans un couvent de Haguenau, peut être attribué à Jean André Silbermann, alors âgé de 18 ans. Il correspond en tout cas à ce que l’on sait du tempérament de ce facteur, qui écrivait : « avec mon tempérament qui est ma propre invention tout le monde est content ». Selon lui, cet accord permettait de « bien jouer dans tous les accords et tons ». Le tempérament retrouvé dans le positif du musée des arts décoratifs permet effectivement de moduler dans tous les tons, tout en conférant plus de couleur et de plénitude aux tonalités les plus usitées. Il comporte 5 quintes réduites d’un cinquième de comma pythagoricien (do-sol, sol-ré, ré-la, la-mi et fa#-do#) et 7 quintes pures (mi-si, si-fa#, do#-sol#, lab-mib, mib-sib, sib-fa et fa-do). Sa particularité est l’emplacement de la dernière quinte tempérée sur le fa#, après deux quintes pures. L’application de ce tempérament à l’orgue de Molsheim a pu se faire sans la moindre altération de la tuyauterie ancienne.

Remarquablement sculpté en 1970 par Valentin Jaeg, sur le modèle de celui du buffet Silbermann de St Jean de Mulhouse, le couronnement de la tourelle centrale n’est pas une reconstitution de l’état d’origine : il affiche le blason de la Ville de Molsheim bien que ce ne soit pas elle qui paya l’orgue du Collège épiscopal en 1781.

 

Photo : J.P.Lerch

Près de cinquante ans après la dernière restauration, l’orgue présentait des signes de faiblesse. La tuyauterie était empoussiérée et l’accord général était devenu déficient. Les éléments en sapin du buffet étaient à nouveau partiellement infestés par les vers à bois. Avec l’aide des Monuments historiques, la municipalité de Molsheim décida d’engager un relevage de l’instrument, qui fut réalisé d’octobre 2017 à février 2018 par Quentin Blumenrœder et ses compagnons, pour un montant de 64.562,00 € HT.

La seule modification porta sur l’ajout de deux notes à la pédale, dont l’étendue passa de 25 à 27 notes, et d’une tirasse entre le grand-orgue et la pédale. Pour cela, un petit sommier complémentaire fut posé entre les deux sommiers anciens de pédale, avec six tuyaux neufs en copie de Silbermann. Ces modifications sont totalement réversibles, elles n’ont en rien altéré le matériel de Silbermann et permettent d’élargir le répertoire praticable, notamment en direction des œuvres de J.S. Bach. Pour le reste, l’état de 1970 fut conservé, non sans pratiquer quelques interventions ponctuelles sur l’harmonie, pour obtenir plus d’égalité et corriger les quelques tuyaux qui avec le temps étaient de­venus piquants et acides. Bien que resté à la marge et non systématisé, ce travail d’har­monie a permis de retrouver plus de cohésion entre les jeux, en facilitant grandement leur mélange, et de redonner ainsi plus d’ampleur à l’instrument.

Lors de la restauration de 1970, l’orgue avait été accordé selon un tempérament inégal, c’est-à-dire une répartition inégale des demi-tons dans une octave. Ce n’était pas tout à fait une première, puisque l’orgue Silbermann de Soultz, dans le Haut-Rhin, avait déjà été accordé de manière inégale par Curt Schwenkedel et Philippe Hartmann. Mais ici le tempérament choisi avait plus de fondement historique, puisqu’il était basé sur la description faite par Ignaz Bruder (1780-1845), un facteur d’orgues de Forêt noire, qui avait décrit dans un manuscrit un tempérament attribué à Jean André Silbermann. Mais cette formule est sujette à interprétations et il n’a pas été possible de retrouver celle qui avait été faite par Alfred Kern en son temps. Dans le doute, il a été décidé d’accorder l’instrument selon le tempérament retrouvé en 2012 par Quentin Blumenrœder dans l’orgue Silbermann du musée des arts décoratifs de Strasbourg, déposé dans l’église Sainte-Madeleine de la même ville. Ce tempérament, posé en 1730 lors de l’installation de cet instrument dans un couvent de Haguenau, peut être attribué à Jean André Silbermann, alors âgé de 18 ans. Il correspond en tout cas à ce que l’on sait du tempérament de ce facteur, qui écrivait « avec mon tempérament qui est ma propre invention tout le monde est content ». Selon lui, cet accord permettait de « bien jouer dans tous les accords et tons ». Le tempérament retrouvé dans le positif du musée des arts décoratifs permet effectivement de moduler dans tous les tons, tout en conférant plus de couleur et de plénitude aux tonalités les plus usitées. Il comporte 5 quintes réduites d’un cinquième de comma pythagoricien (do-sol, sol-ré, ré-la, la-mi et fa#-do#) et 7 quintes pures (mi-si, si-fa#, do#-sol#, lab-mib, mib-sib, sib-fa et fa-do). Sa particularité est l’emplacement de la dernière quinte tempérée sur le fa#, après deux quintes pures. L’application de ce tempérament à l’orgue de Molsheim a pu se faire sans la moindre altération de la tuyauterie ancienne.

Le relevage de 2018 en détails

Le relevage de l’orgue Silbermann a été l’un des chantiers marquants de la Manufacture Blumenrœder. Nous avons trouvé à Molsheim un instrument remar­quable, un édifice qui l’est tout autant et une équipe de passionnés qui font vivre cet orgue. Tout au long de ces travaux, nous avons été impressionnés par l’œuvre de Johann Andréas Silbermann qui démontre – ici comme ailleurs – à quel point de perfection il était parvenu dans la maîtrise de son art. Nous avons également été impressionnés par le travail d’Alfred Kern, qui signa en 1970 une restauration très en avance sur son temps, grâce à la présence de Marc Schaefer, organiste passionné qui suivit alors le chantier. C’est surtout un travail de remise à flot que nous avons réalisé ici.

Comme tout relevage, les travaux avaient pour objectif de remettre l’instrument en parfait état, mais sans le modifier, en conservant l’état Kern de 1970. Nous sommes néanmoins intervenus à la marge sur divers détails techniques, pour tenir compte des récentes découvertes et des connaissances organologiques actuelles. Force est de constater que tout en respectant la philosophie de restauration qui était celle d’Alfred Kern et qui a fait date, ces petites retouches très ciblées ont apporté beaucoup à l’ins­trument.

Le buffet d’orgue :

Le buffet a été nettoyé et traité contre les insectes xylophages. Une petite lacune dans la sculpture décorative de la ceinture a été comblée. De nombreux éléments électriques ont été supprimés de la boiserie et les trous ont été rebouchés. La cire a été repolie pour lui redonner son éclat. Les tuyaux de façade ont également été nettoyés, ce qui leur a redonné du brillant.

La plus grosse modification apportée à l’instrument réside dans l’ajout d’une tirasse mobile, permettant de jouer avec les pieds les notes graves du clavier de grand-orgue, lorsque le bouton qui l’actionne est tiré par l’organiste. Ce dispositif a été mis en place sans modifier en rien le matériel de Silbermann, même pas un nouveau trou de clou. Un nouveau pédalier a été réalisé pour permettre l’ajout de deux notes aiguës, copié sur celui de la console ancienne à St-Thomas de Strasbourg. Pour garantir la réversibilité de l’opération, le pédalier et l’abrégé de pédale de Kern ont été conservés dans l’instru­ment. Après suppression de tous les interrupteurs et des éclairages posés sur l’orgue, des réglettes LED assurent désormais l’éclairage de la console.

Transmission :

La mécanique étant en très bon état, nous nous sommes contentés de réaliser un réglage systématique, avec le renouvellement des écrous de cuir. Des petits dispositifs de suppression des cliquetis de mécanique ont été posés, ils sont totalement réversibles et ne modifient en rien le toucher. Pour les deux notes supplémentaires à la pédale, nous avons réalisé une nouvelle mécanique ainsi qu’un nouvel abrégé de pédale à la division du nouveau pédalier.

Sommiers :

Ceux des claviers manuels ont fait l’objet d’une révision systématique sans dépose. Après un nettoyage scrupuleux, nous avons repris systématiquement l’enchapage, pour optimiser l’étanchéité des registres.

Ceux de la pédale ont été transportés en atelier pour refermer les fentes ouvertes dans la table. À cette occasion, les boursettes ont été renouvelées. Le principal défaut de ces sommiers provenait du délitement de la peau collée sous la grille, ce qui causait de gros dysfonctionnements. Ces peaux ont été remplacées par des peaux neuves exemptes de vapeurs corrosives. Ces sommiers présentent la particularité de ne pas avoir de joints d’étanchéité en peau comme dans tous les sommiers Silbermann. Cette particularité (enchapage bois sur bois) a été conservée.

Un petit sommier additionnel pour alimenter les tuyaux des deux notes supplémentaires a été réalisé en copie de Silbermann, mais il dispose d’une table en trois couches de chêne, ce qui date cet ajout.

Alimentation en vent :

La soufflerie n’a fait l’objet que de petites interventions destinées à retrouver une meilleure étanchéité, notamment pour le réservoir où quelques rustines de peau ont été appliquées. Ce soufflet antérieur à Kern est très particulier, avec deux tables cunéiforme placées tête-bêche. Le résultat musical est très convaincant, il ne peut être discerné à l’écoute qu’il ne s’agit pas d’un soufflet cunéiforme.

Tuyauterie :

La tuyauterie est en grande partie de Silbermann et les tuyaux neufs d’Alfred Kern sont bien copiés, avec cependant quelques petites différence comme des largeurs de bouche plus approximatives. Les six tuyaux neufs du complément de pédale ont été confec­tionnés en copie stricte des modèles de Silbermann. Les lumières des tuyaux en bois du Bourdon 16 ont été rendues plus étroites, pour que les tuyaux consomment moins de vent dans le plein-jeu et sonnent avec plus de promptitude.

Harmonie et accord :

Dans l’harmonie, nous avons été très respectueux du remarquable travail de 1970. Quelques égalisations et surtout l’emploi d’un outillage en copie de celui de Silbermann, ont permis de corriger quelques défauts liés aux attaques du temps et aux accords successifs, en travaillant avec la plus grand prudence et le plus grand respect.

Lors de l’accord de la tuyauterie, il n’a pas été possible de retrouver l’interprétation du tempérament Bruder telle qu’elle avait été réalisée par Alfred Kern en 1970. La tuyau­terie a été accordée selon le tempérament retrouvé dans le positif du Musée des Arts décoratif de Strasbourg et attribué à Jean-André Silbermann.

Notre atelier remercie chaleureusement la Ville de Molsheim pour la confiance qu’elle nous a accordée : travailler ici aura été un vrai plaisir.

Quentin BLUMENRŒDER

Un gros nettoyage systématique a permis d’enlever toute la poussière déposée.

 

Photo : J.P.Lerch

Les claviers de A.Kern, photographiés ici après restauration, sont un exemple d’une reconstruction très fidèle aux modèles originaux , du moins pour l’époque.  

 

Photo :  J.P.Lerch

Toute la tuyauterie a été déposée pour être nettoyée, y compris les tuyaux de façade, ici en cours de remontage et d’harmonie.

 

Photo :  Jauffrey Walter

La console est l’un des postes qui a demandé le plus d’interventions.

 

Photo :  J.P.Lerch

Le pédalier a été renouvelé pour disposer de deux notes aiguës supplémentaires (do# et ré). Ce complément ouvre l’instrument à un répertoire musical plus vaste, notamment germanique.

 

Photo :  J.P.Lerch

Sur ces chapes du sommier de Grand-Orgue, le bois de chêne est d’une extraordinaire qualité. On y lit les noms de jeux, marqués à l’encre de la main de Silbermann, avec de haut en bas Bourdon 8, Bourdon 16, Cornet, Prestant et Montre. Il est à noter que les chapes divisées en deux et le grand nombre d’annotations de la main de Jean-André sont un exemple rare, voire unique, dans la production des Silbermann.

 

Photo :  J.P.Lerch

Les tables des sommiers de pédale, très fendues, ont été flipotées pour leur redonner de la résistance.

 

Photo :  J.P.Lerch

Le sommier complémentaire des deux notes de pédale est posé entre les deux sommiers principaux de Silbermann, sans la moindre atteinte au matériel ancien.

 

Photo :  J.P.Lerch

Ce tuyau avant harmonie (photo de gauche) présente une déformation de la lèvre supérieure et une marque dans le biseau, qui ont été corrigées dans le cadre de ce relevage (photo de droite)

 

Photos :  J.P.Lerch

Les tuyaux de façade de la tourelle centrale s’étaient affaissés sous leur propre poids et il a fallu restaurer les pieds écrasés.

 

Photo :  J.P.Lerch