MARMOUTIER – Abbatiale Saint-Etienne
photo : J.Cl.Hatterer
André Silbermann
1709
Complété par Jean-André Silbermann en 1746
Classé au titre des Monuments historiques en 1971 (partie instrumentale) et 1972 (buffet)
De tous les orgues Silbermann, l’instrument de Marmoutier est le plus proche de l’esthétique parisienne des années 1700, celle qui a inspiré les livres d’orgues de François Couperin, de Nicolas de Grigny ou Louis Marchand. C’est le seul témoin conservé de la première période créatrice d’un André Silbermann encore très marqué par son séjour chez François Thierry, « facteur d’orgues du Roy » à Paris. C’est également à Marmoutier que lui fut donnée la première occasion de réaliser un « grand huit-pieds » à la manière parisienne, même s’il y subsiste des atavismes de la facture locale comme la pédale basée sur le 16 pieds ou les pavillons en fer blanc des Trompette et Clairon du grand-orgue.
Culot de la tourelle latérale sud du Grand Orgue
Photo : J.P.Lerch
Frise du soubassement du buffet de Positif
Photo : J.P. Lerch
Les travaux durèrent de 1707 à 1710. Silbermann faillit y laisser la vie, après avoir été agressé à coups d’herminette par un ouvrier ivre. Conformément au contrat, l’orgue ne fut pas entièrement achevé, des chapes restant libres pour des jeux supplémentaires, selon une pratique assez courante chez Silbermann, du moins à ses débuts. Ce n’est qu’en 1746 que son fils Jean-André compléta l’instrument, plaçant quatre jeux neufs à la pédale et un Cromorne au positif. En 1767, le même nettoya l’orgue, empoussiéré à la suite des travaux de construction du nouveau chœur.
D’abbatiale, l’église devint paroissiale à la Révolution. Malgré les convoitises de la paroisse Saint-Jean de Strasbourg, l’orgue resta à Marmoutier. Cependant juste avant la sécularisation il avait été déplacé d’une tribune dans le transept nord à une nouvelle tribune au-dessus du portail occidental. Les habitants, qui vivaient en grande partie de la présence de l’abbaye au 18ème siècle, ne purent dès lors financer des travaux de transformation. Une seule modification notable fut apportée en 1840 par Stiehr qui haussa les tuyaux de pédale de deux mètres pour donner plus de place à la chorale, intervention assez désastreuse sur le plan visuel mais plus positive sur le plan acoustique. C’est peut-être aussi ce facteur qui décala le Nazard du positif en Flûte 4 et y supprima la Tierce.
Disposition de la bombarde après 1840
Photo : J.P. Lerch
C’est donc un orgue délabré mais somme toute presque intact que trouvèrent quelques jeunes amateurs en 1954 lorsqu’ils fondèrent une association pour la restauration du vénérable instrument. Ils parvinrent à leurs fins dès l’année suivante, en 1955, date à laquelle l’orgue fut restauré par Ernest Muhleisen et Alfred Kern. Une Tierce neuve fut placée au positif, les corps vermoulus de la Flûte 16 et de la Bombarde furent remplacés par des copies plus ou moins fidèles, les Flûtes 16 et 8 de pédale qui étaient toujours tirées furent munies de tirants, et l’étendue du pédalier fut, sur le conseil d’Albert Schweitzer, portée de vingt-cinq à vingt-sept notes. Cette restauration, critiquable aujourd’hui sur certains points mais exemplaire pour l’époque, a permis de sauver un des orgues historiques les plus précieux de France. Mais curieusement, cette restauration a eu plus d’impact à l’étranger que dans une France encore dominée par le mouvement néo-classique et peu soucieuse de l’orgue ancien. Ainsi, les enregistrements de l’organiste américain Neville Smith en 1956 firent connaître l’orgue de Marmoutier jusqu’outre-Atlantique, où il servit plusieurs fois de modèle dans le mouvement de renaissance de la facture d’orgue, alors que la facture française en général et alsacienne en particulier a tardé à s’inspirer de cette voie exemplaire.
En septembre 1955 Albert Schweitzer fait découvrir l’orgue restauré à la reine-mère Elisabeth de Belgique. Un symbole du rôle international de la restauration de Marmoutier.
C’est dans le même souci de rigueur et de respect du patrimoine qu’ont été conçus d’importants travaux de relevage confiés entre avril 2009 et avril 2010 à Quentin Blumenroeder. Outre les habituels et nécessaires réglages et nettoyages, ont été effectuées les corrections suivantes :
- renouvellement du pédalier et du banc en copie des reliquats d’origine
- renouvellement des étiquettes des tirants de jeux
- au positif renouvellement de la Tierce et des aigus du Nazard
- au grand-orgue remplacement des aigus du Clairon
- restauration et remise en fonction de la Flûte 16 de Silbermann (les tuyaux ont été notamment traités contre les insectes par anoxie active, procédé consistant à priver les parasites d’oxygène, et respectant donc l’environnement par absence de produit chimique)
- reconstitution de trois soufflets cunéiformes à un pli, en copie de Stiehr, pouvant être utilisés comme soufflets, tirés à la main ou par des moteurs électriques, ou comme réservoirs
- remise en fonction du tremblant fort